18 décembre 2023

Désinfox – L’Aide Médicale d’Etat n’est pas une porte ouverte à toutes les fraudes et au tourisme médical

Alors que la version initiale du texte du projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » ne portait qu’une moindre voire aucune attention à la santé des personnes migrantes, le Sénat a adopté le 7 novembre 2023 un amendement qui supprime l’Aide Médicale d’Etat (AME), transformée en Aide Médicale d’Urgence permettant la prise en charge uniquement des pathologies les plus graves, avant d’adopter l’ensemble du projet de loi le 14 novembre. Cette suppression a suscité de vives réactions, tant de la part des acteurs associatifs que des professionnels de santé.

La poursuite de l’examen parlementaire du projet de loi à l’Assemblée nationale a opéré un revirement de situation concernant l’AME puisque les députés ont voté en Commission des lois pour son rétablissement le 29 novembre.

Les attaques du Sénat contre l’AME ne se limitent pas à l’examen du projet de loi immigration : les Sénateurs ont voté le 5 décembre une réduction des moyens affectés au financement de l’AME, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.

 

La question des dépenses liées l’AME : source de contrevérités

L’AME est une assurance de santé publique et gratuite destinée aux personnes migrantes en situation irrégulière. Pour être éligible, une personne doit justifier d’une résidence continue sur le territoire français depuis au moins trois mois, et présenter des ressources financières faibles.

En soutien à l’amendement de suppression de l’AME, certains Sénateurs ont associé à l’AME le risque de “portes ouvertes à toutes les fraudes” et de “tourisme médical. Cependant, les enquêtes qui ont pu être menées sur l’AME, qu’elles soient institutionnelles, associatives, ou dernièrement le rapport rendu par Claude Evin et Patrick Stefanini à la demande de la Première Ministre, Elisabeth Borne, portent des constats bien différents.

En effet, seules 51% des personnes éligibles sont effectivement couvertes par l’AME, dont les dépenses représentent moins de 0,5% des dépenses publiques de santé, alors que le dispositif permet une intégration dans le système de santé, les personnes bénéficiaires recourant davantage à des lieux de soins habituels, et participe à la réduction des dépenses de soins et à un accès à la prévention (enquête “Premiers pas”, Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, 2019).

En comparaison, l’Espagne, qui avait drastiquement restreint l’aide médicale aux personnes migrantes en situation irrégulière en 2012, afin de faire des économies et mettre un terme au “tourisme médical”, a dû rétropédaler. Après le constat d’une hausse de 22 % de la mortalité des personnes sans-papiers au bout de trois ans, et d’une augmentation des coûts supplémentaires engendrés par une prise en charge trop tardive des pathologies, l’Espagne a abrogé sa mesure en 2018. Les personnes en situation irrégulière peuvent à nouveau se faire soigner dans les mêmes conditions que les nationaux espagnols.

 

L’accès effectif à l’AME : un enjeu de respect du droit à la santé  

L’existence et l’accès à l’AME constituent des enjeux d’accès au droit fondamental universel qu’est le droit à la santé, et « répond à un principe éthique et humanitaire mais aussi à un objectif de santé publique et de pertinence de la dépense » (rapport “L’aide médicale d’Etat : diagnostic et propositions”, Inspection générale des finances et de l’Inspection générales des affaires sociales, 2019).

Pourtant, les réalités observées sur le terrain démontrent que l’accès à l’AME est un parcours semé de nombreuses difficultés administratives, exacerbées pour les personnes qui ne maitrisent pas ou peu la langue française : disparité d’accès aux droits selon les départements, difficulté pour la prise de rendez-vous, délivrance d’informations incomplètes ou erronées, accueil non adapté, absence de recours à l’interprétariat (rapport d’enquête interassociatif, Entraves dans l’accès à la santé, Les conséquences de la réforme de 2019 sur le droit à l’Aide Médicale d’Etat, La Cimade, Dom’Asile, Le Comede, Médecins du Monde, Secours Catholique – Caritas France, 2023).

 

> Plus d’articles issus de la publication ISM News